Il y a longtemps, dans un monde très lointain, les images étaient fixes, immobiles et mortes, et le peuple des rues avait les yeux grand ouverts.
Mais le temps a passé, les images se sont multipliées, emplissant les murs et les tubes et les vitrines et les lumières.
Le peuple, lui, commençait à s’ennuyer.
Et il avait beau favoriser la loghorrée d’images, le mouvement perpétuel, la mise en relation de l’ici et du partout,rien à faire, les yeux lui tombaient.
Trop d’images.
Trop de vies.
Trop de regards qui ne regardent rien, trop d’ailleurs et pas assez d’autre. A force, le peuple s’endort pour de bon. Somnolence. Yeux grand fermés. Overdose de breloques et de verroterie.
Les images en profitent – certaines, du moins, et pas n’importe quand.
Comme les jouets de l’enfant qui dort, les voilà qui s’essayent à vivre, qui s’essayent à voir.
Ni vues ni connues. Pas à pas. Ouvrir les yeux pour la première fois…
Très vite, les refermer
– et garder le monde entier à l’intérieur, avec toute la vie dedans, le temps de quelques secondes se retenir, et sentir son coeur battre d’avoir vu.
Même le plus proche. Même le plus quotidien. Voir pour la première fois.
Si l’on prête attention, il est possible de croiser ces regards d’images.
Furtifs. Intenses. Regards d’images.
Vous marchez dans la rue, et quelqu’un vous regarde, vous le sentez.
Vous vous retournez, il n’y a personne.
Et pourtant vous auriez juré…
Juré quoi ?
Mais juré que quelqu’un vous avait vu.
Au long des rues et des chemins, je me suis retourné, moi aussi, souvent.
Et je me suis arrêté, cherchant qui m’avait vu.
« Les murs ont des yeux » raconte des rencontres avec ces grands voyants.
Car ils me regardaient. Car ils me parlaient, me demandaient, comme l’enfant qui fait ses premières rencontres : “Et toi, t’es qui ?” Bien obligé de répondre, quand on est happé par un regard.
Invitation à se laisser regarder autant qu’à voir, image qui se fait miroir,
« Les murs ont des yeux » raconte des yeux de papier, ou de pierre, qui s’ouvrent un jour par hasard.
Et appellent celui qui les regarde à ouvrir les siens tout grands sur le quotidien le plus banal de rues oubliées.