FRCI : L’armée des ombres, 2011

(Abidjan, Côte d’Ivoire, Camp Commando d’Abobo)

Que faire d’une armée de rebelles qui n’existe officiellement que depuis six mois, sort de dix ans d’illégalité, et que quelques 20 000 volontaires ont rejointe pendant le crise de 2011 ? Après une décennie de conflit larvé aux forts relents d’épuration ethnique, et une guerre qui a fait 3000 morts, c’est la question qui hante aujourd’hui le nouveau pouvoir ivoirien.

Du coup d’Etat raté de la rébellion en 2002, jusqu’en 2011, le pays a vécu séparé en deux : aux hommes de Gbagbo le Sud, et la capitale, aux rebelles des Forces Nouvelles le Nord. Dix ans durant, le pouvoir central, au nom de  “l’ivoirité” n’a cessé de désigner à la vindicte populaire les “étrangers” (24 % de la population ivoirienne vient d’ailleurs) et les Ivoiriens des ethnies du Nord (Malinké, Sénoufo, Koulango…), les exposant aux discriminations et aux chasses à l’homme.

Quand Gbagbo refuse le résultat des urnes, en décembre 2010, les Forces Nouvelles, essentiellement composés d’hommes du Nord, s’infiltrent dans Abidjan. Dans la capitale, l’armée loyaliste tire dans le tas, ciblant en particulier le quartier-commune d’Abobo, très vite déclaré zone de guerre, et surnommé “Bagdad”. Situé au Nord de la ville, il compte 1,5 millions d’habitants, parmi lesquels essentiellement des immigrés et des Ivoiriens du Nord, qui ne tardent pas à s’engager contre le pouvoir. Et à aider à la prise du Camp Commando situé au coeur du quartier, poumon et entrepôt à armes et à mercenaires de Gbagbo.

Les FRCI (Forces Républicaines de Côte d’Ivoire) est le nom donné en mars à la nouvelle armée qui devra réussir l’impossible : fusionner les anciens loyalistes pro-Gbagbo et les rebelles qui ont porté le président Alassane Ouattara au pouvoir. Mais pour l’instant, chaque force reste dans son coin, et en ville, le terme de “FRCI” désigne les vainqueurs, qui ont fait du camp d’Abobo un de leurs QG. En attendant d’être recensés (il faut trouver 10 000 hommes à démobiliser dans les prochains mois), payés, et d’obtenir uniformes et grades dans l’armée régulière, les soldats zonent à la caserne et sortent parfois en ville où ils se payent de racket. Mais c’est au camp que je voulais les raconter, quand les armes se baissent, que les familles, restées au Nord, se mettent à manquer, et que les nuits se peuplent de cauchemar

A la veille des législatives de décembre 2011 que les FRCI vont sécuriser, portrait d’une “armée des ombres” dont tout le monde parle depuis dix ans, mais que personne n’a vue. Parce qu’ici comme ailleurs en Afrique, quand la guerre est finie, il reste à gagner la paix.