Femmes, je vous aime (décembre 2011)

Les histoires de guerre, en Afrique, se racontent au masculin, et celle des hommes du Nord, qui ont passé dix ans à se rebeller contre Laurent Gbagbo, ne fait pas exception. Pourtant, si vous demandez aux nouveaux habitants du Camp commando d’Abobo, l’un des plus grands d’Abidjan, ce qui les a poussés à s’engager, leur réponse sera souvent la même : pour protéger une famille. Une mère. Une soeur, une fille. Ou pour ce qui est arrivé à une inconnue, sous leurs yeux. Juste derrière les soldats, portrait de cette autre armée des ombres.

Quand Gbagbo refuse le résultat des urnes, en décembre 2010, les Forces Nouvelles, essentiellement composés d’hommes du Nord, marchent vers le Sud et la capitale, qu’ils finissent par prendre au terme de combats sanglants. Bilan après trois mois : 3 000 morts. Aujourd’hui rebaptisés FRCI (Forces Républicaines de Côte d’Ivoire), du nom de la nouvelle armée dans laquelle ils devront prendre place aux côtés de ceux qu’ils ont combattus, les hommes du Nord attendent aujourd’hui des jours meilleurs dans la capitale. Ils attendent un grade, une solde, et des vêtements dignes d’un soldat, mais pour l’instant rien ne vient. Et en attendant, ils zonent, se payant souvent de racket, de barrages inopinés, ou de protection tarifée.

10 jours durant, j’ai vécu avec les FRCI au Camp Commando d’Abobo. Loin de la guerre, j’ai attendu avec eux, mangé, et bu le thé avec eux, et je les ai entendus avouer les cauchemars qui hantaient parfois leurs nuits depuis la crise, et leurs familles restées au Nord qui manquent. Quand le temps des fanfaronnades a passé, j’ai demandé à chacun pourquoi il avait pris les armes. Presque tous, c’est une femme qu’ils m’ont raconté.

Il y a Emile, à qui des policiers ont refusé de rendre sa carte d’identité au motif qu’il était Malinké, et qui ne l’a pas supporté “parce que c’était devant ma copine”. Il y a Fofana, et le 3 mars 2011– ce jour là, les troupes de Gbagbo sont accusées d’avoir tiré à l’arme lourde sur un cortège de femmes d’Abobo, non loin du camp, faisant 7 mortes, et de nombreuses blessées. Il y a Namory, et son étrange famille au féminin, mère soeur épouse, qui s’est engagé en secret pour elles dès 2002, mais qui n’a jamais osé leur dire – “les femmes, ça parle”, sourit-il. Et puis il y a Hamadou : “J’ai vu une femme violée avec sa fille de 12 ans, devant moi, et je ne pouvais rien faire, j’avais pas d’arme, je me cachais… Je ne veux plus jamais laisser les armes.”

Les histoires de guerre, en Afrique, commencent souvent au masculin, mais presque toutes se terminent en portrait de femme. Alors j’ai voulu dévier l’objectif de mon appareil, le tourner vers celles “qui parlent” mais le plus souvent en silence, et qui ont fait et font encore avancer les FRCI, la nouvelle armée de Côte d’Ivoire. Le 11 décembre, pour les législatives, elle sera appelée à sécuriser les premières élections de l’ère Ouattara, un an après la présidentielle qui a mis le feu au poudre.

Mères, femmes, filles, petites amies, cuisinières, lessiveuses, vendeuses du camp, et même rares combattantes : à la veille de législatives capitales pour une Côte d’Ivoire en quête de réconciliation, j’ai voulu faire le portrait d’une armée en pagne qui vit dans l’ombre, et dans le coeur des FRCI.