INTERVIEW THOMAS HOFFNUNG, SLATE AFRIQUE

 Initialement publié sur Slate Afrique

(24 octobre et 17 novembre 2011)

Mise à jour du 17 novembre: Le président ivoirien Alassane Ouattara a déclaré que «tous ceux qui ont commis des crimes [pendant la crise post-électorale ivoirienne] seront poursuivis quel que soit leur bord», durant une visite de 48 heures à Lomé, la capitale togolaise. Par ailleurs, un accord a été signé le 15 novembre entre le Togo, la Côte d’Ivoire et le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU pour le «rapatriement volontaire» des réfugiés ivoiriens au Togo.

 

SlateAfrique – La Côte d’Ivoire est-elle sur le chemin de la réconciliation?

Thomas Hofnung – C’est encore prématuré de le dire. Mais on a l’impression que l’on a passé la phase aigüe de la crise et que l’on est dans la phase de reconstruction. En tout cas, la reconstruction matérielle a démarré. Il y a des chantiers à Abidjan (capitale économique de la Côte d’Ivoire). Des investisseurs sont prêts à revenir. Mais la reconstruction morale va prendre plus de temps. C’est une question centrale. Que l’on fasse les routes, que l’on retrouve du travail, bien sûr, c’est primordial, mais derrière tout cela, il y a la réconciliation entre les Ivoiriens. Et là, il est plus difficile de cerner ce qu’il se passe en Côte d’Ivoire. Pour l’instant, aucun responsable du camp du président Ouattara n’a été inquiété. Du côté du camp de l’ex-président Gbagbo, des responsables sont sous les verrous, à commencer par Laurent et Simone Gbagbo, ou sont sur le point d’être jugés, mais aucun responsable des FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire). C’est un mauvais signal. Ce qu’il s’est passé à Duékoué, fin mars 2011, a marqué un tournant dans cette crise parce que l’on a vu que des crimes étaient commis dans les deux camps. Ce massacre a été dénoncé par les organisations internationales. En termes de réconciliation, l’impunité dans le camp Ouattara et de ceux qui l’ont porté au pouvoir pose un vrai problème.

SlateAfrique – Alassane Ouattara peut-il lâcher ceux qui ont contribué à le porter au pouvoir?

T-H – C’est la question centrale à mon avis: est-ce que Ouattara est l’otage des «Comzones» (commandants de zone, les chefs militaires de la rébellion) et de Guillaume Soro, son Premier ministre? Les FRCI ont certes arrêté Gbagbo, mais elles n’y seraient pas arrivées sans l’intervention de l’armée française. C’est un peu une partie de poker menteur entre Ouattara et Soro. Leur relation est plus complexe qu’on ne le croit. On l’a vu avec les accords de Ouagadougou en 2007. Soro a joué sa carte. Après tout, il aurait très bien pu être le Premier ministre d’un Gbagbo réélu. La méfiance est grande de part et d’autre. C’est d’ailleurs pour cela que Ouattara a demandé le maintien de l’armée française. Il n’est pas tout à fait serein avec ses militaires, des anciens FN (Forces nouvelles) et FRCI qui assurent le maintien de l’ordre en Côte d’Ivoire. Ouattara a promis que tous les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité seront jugés et qu’il n’y aurait pas d’impunité, il faudra juger sur ses actes.

SlateAfrique – Qui détient le pouvoir actuellement à Abidjan, Ouattara ou Soro?

T-H – Je pense qu’il y a une répartition des rôles, comme pendant la crise. Quand Ouattara a vu que Gbagbo ne voulait pas lâcher le pouvoir, sa stratégie a été celle de l’asphyxie économique. Dans le même temps, il a reconduit Guillaume Soro comme ministre de la Défense pour s’occuper du volet militaire. Ouattara, c’est la face politique du régime, les contacts avec les investisseurs, les relations diplomatiques. A charge pour Guillaume Soro de «mettre au pas» les «Comzones» et d’assurer la sécurité. Là où les choses se compliquent un peu plus, c’est que l’influence et le pouvoir de Guillaume Soro sur les «Comzones» ne sont peut-être pas aussi forts que cela. Il ne faut pas oublier que Soro est sorti du chapeau en septembre 2002, et qu’il n’était pas dans la préparation de la tentative de coup d’Etat contre Gbagbo, contrairement à ce qu’il dit. Une fois que le coup a échoué et que l’on s’est installé dans la division, il fallait trouver une tête politique et les rebelles sont allés chercher Soro.

SlateAfrique – Soro n’a pas une grande légitimité auprès d’eux?

T-H – Oui. L’un des problèmes numéro 1 pour Ouattara et Soro, c’est de trouver des débouchés pour ces hommes. Est-ce que certains vont se présenter à la députation? D’autres vont-ils intégrer l’armée? Certains responsables militaires de l’ex-rebellion sont potentiellement menacés par la CPI. C’est le cas de Chérif Ousmane pour la reconquête de Yopougon où il y a eu des exécutions sommaires. Le commandant Losséni  commandait le secteur de Duékoué. Kouakou Fofié, qui est sous sanction de l’ONU pour les massacres commis en 2004 entre factions rebelles, fait la pluie et le beau temps à Korhogo, où il filtre les entrées autour de la résidence de Gbabgo.